Pour la première fois depuis dix ans, il n’y aura pas de ministre écologiste dans le prochain gouvernement. Mais les défis environnementaux, à l’heure du changement climatique, restent énormes.
Ce moment est témoin d’un paradoxe qu’il faudra un jour prendre le temps d’analyser. C’est alors que les effets dévastateurs de l’évolution du climat font de plus en plus partie de nos vies, même au Grand-Duché (inondations de 2021, sécheresse de 2022…), et que les records de température tombent les uns après les autres (le mois de septembre 2023 a été le mois de septembre le plus chaud jamais enregistré au Luxembourg), que les électeurs ont décidé massivement que la présence d’élus écologistes n’était plus une priorité à la Chambre des députés, et donc au gouvernement.
Protéger la nature ne peut être conçu comme une lubie d’idéalistes. Selon un rapport du Forum économique mondial de 2020 sur les risques systémiques liés à la perte de biodiversité, plus de la moitié du PIB mondial dépend directement de la nature et des services qu’elle fournit. Non seulement, c’est elle qui nous nourrit, mais il existe en outre une corrélation entre le risque d’apparition et de propagation de maladies infectieuses et le rythme auquel la nature est détruite, comme l’a démontré la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.
Au Luxembourg comme ailleurs, la nature a besoin d’un engagement profond de ses dirigeants. Avec ses grandes forêts (92 150 hectares au total, soit 35 % du territoire), des paysages verts qui surgissent sitôt que l’on quitte les grandes agglomérations, on l’imagine aisément bien portante. C’est pourtant loin d’être le cas, même si d’importants efforts ont été menés ces dernières années pour préserver les habitats menacés et les espèces animales et végétales qui y vivent. Les différents épisodes de cette série «Gardien de la nature» sont venus en témoigner et ils continueront bien sûr à le faire.
La fin
des perdrix
La forêt luxembourgeoise, notamment, n’est pas en bon état. La moyenne d’âge des arbres est trop élevée et beaucoup d’entre eux sont en mauvaise santé. L’inventaire sanitaire 2023 a déterminé que l’état de plus des deux tiers des arbres va de moyennement endommagé à mort. La pénurie d’eau lors des longues périodes de sécheresse, les températures élevées, les nombreuses heures d’ensoleillement et la prolifération de parasites destructeurs sont des causes avérées de la dégradation de l’état de nos massifs forestiers. La nouvelle loi sur les forêts du 12 juillet 2023 donne davantage de droits et de devoirs aux propriétaires privés (52 % des forêts) et un cadre renforcé pour protéger ces écosystèmes, en leur octroyant une finalité écologique et sociale.
La biodiversité dans son ensemble est en déclin dans le pays depuis 40 ans. La variété des habitats se réduit, entraînant avec elle celle des espèces qui lui sont associées. Deux causes principales expliquent ce phénomène : l’intensification de l’agriculture et le développement des villes (et des centres commerciaux). Selon le rapport 2022 de l’Observatoire de l’environnement naturel, deux tiers des habitats naturels luxembourgeois sont dans un état défavorable ou mauvais. L’état de conservation de 80 % des espèces végétales ou animales est considéré comme précaire.
L’exemple de la perdrix est significatif : on en comptait plus de 6 000 couples il y a 60 ans et seuls 10 à 20 perdurent aujourd’hui. À moins de replanter massivement des haies au bord des champs, de favoriser la polyculture et l’usage extensif des prairies et de mettre en place des jachères, sa disparition sera rapidement inéluctable.
L’artificialisation des sols est un autre problème majeur. Le Luxembourg est, avec la Belgique, le pays le plus morcelé d’Europe, où les obstacles artificiels comme les routes, les voies ferrées ou les zones d’habitation sont les plus nombreux. De plus, chaque jour, environ 5 000 m² de surface naturelle sont bétonnés (autour de 240 terrains de foot par an). Ce rythme, rapporté à la taille du pays, est largement au-dessus de la moyenne européenne. Dans un contexte où la pénurie de logements est une réalité extrêmement préoccupante, le sujet est forcément sensible. Plus construire, plus vite est une nécessité, mais il conviendra de ne pas le faire n’importe où.
La cause de l’environnement n’est pourtant, et heureusement, pas une cause perdue. Elle demande toutefois un engagement fort et durable. Plusieurs lois adoptées ces dernières années permettent de mieux encadrer les efforts pour le maintien et la restauration de la biodiversité. La loi du 18 juillet 2018 pour la protection et la restauration de la nature et des ressources naturelles, celle sur les forêts (12 juillet 2023) ou encore la modernisation de la loi sur l’eau potable (23 décembre 2022) ont amélioré l’arsenal juridique chargé de protéger l’environnement.
45 % des jeunes sont écoanxieux
L’adoption du troisième Plan national pour la protection de la nature (PNPN) en janvier 2023 garantit les actions et les mesures à mener jusqu’en 2027, année où elles seront réévaluées avant d’atteindre la fin du plan en 2030. Ce programme ambitieux est bâti sur quatre piliers.
Celui de la protection vise à atteindre les 30 % de surfaces protégées dans le pays (autour de 28 % aujourd’hui) et les 10 % sous protection stricte (les zones protégées d’intérêt national ne représentent que 4,2 % aujourd’hui). La restauration des habitats et écosystèmes dégradés (zones humides, pelouses sèches…) est une autre priorité. La coopération entre les différents acteurs doit être le modèle prédominant, à l’image du Pacte Nature que les communes peuvent signer depuis 2022 ou de l’excellent programme Natur genéissen qui, depuis 2014 et à l’initiative du Sicona, met en lien les agriculteurs locaux et les cuisines des structures d’accueil d’enfants des communes partenaires. Enfin, le PNPN détermine la participation du Luxembourg à des programmes de conservation internationaux (dans le parc ornithologique du Djoud, au Sénégal, notamment).
Alors qu’il ne fait aucun doute que les effets néfastes du changement climatique vont continuer à accélérer et que de très nombreux exemples montrent que les équilibres indispensables à la conservation de la biodiversité sont pour le moins très précaires, ôter les questions environnementales des priorités nationales serait particulièrement préjudiciable pour la nature, mais également pour notre société qui, sans que l’on s’en rende forcément compte, dépend beaucoup de la santé de l’environnement.
Identifier le résultat des élections législatives comme l’illustration d’un désintérêt massif pour la cause environnementale serait une erreur. La progression de la consommation des aliments bios et locaux constatée ces dernières années est une réalité, même si le contexte inflationniste a freiné cet élan.
Mercredi dernier, une étude du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a montré que 80 % des Français se disent inquiets du dérèglement climatique. Selon une étude de 2022 publiée dans le Lancet et réalisée sur 10 000 jeunes dans dix pays (dont les États-Unis, la France, le Portugal…), 45 % des jeunes souffrent d’écoanxiété.
Ignorer ces phénomènes, ou simplement ne pas leur adjoindre les moyens suffisants pour les enrayer, serait certainement préjudiciable pour la société dans son ensemble.
Author: Carrie Campbell
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